Pourquoi pas (cartes postales de Cancerland 20)

Posted on 18 septembre 2013

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Je dois dire qu’en commençant à publier ces cartes postales de Cancerland, je me suis demandé ce que cela avait à faire dans un blog, de raconter comme ça, à brut (ou à brute ou abrupt), notre rencontre avec le cancer (enfin, plutôt celle de ma petite marrante, puisque c’est elle qu’il touche). Mais si… et il y a plusieurs raisons. Certaines dont ma petite marrante et moi avons parlé, parfois entre les lignes, parfois moins. Et d’autres…

Pour faire simple, je dirais que la première raison est que lorsque ma petite soeur est morte bouffée par le crabe l’an dernier, et qu’il nous a fallu l’accompagner – souvent sans bien comprendre ce qui se passait – j’ai décidé de tout laisser tomber provisoirement pour écrire un film documentaire sur le sujet. Comment – et dommage que l’on ne puisse pas mettre de pluriel – accompagne-t-on quelqu’un – un proche en l’occurrence – dans une mort programmée, et qu’en est-il du ressenti de « l’accompagnant(e) » ? Avec ce que il ou elle sait, ce qu’elle ou il ne sait pas, et le tout dit à demi-mots. Le film est en cours de production, et s’appellera justement « à demi-mots ». 

Et bing, à peine avais-je terminé l’écriture du scénario, que nous apprenions le(s) cancer(s) de ma petite marrante.

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Mais cette raison est superficielle, parce que « sans exhibitionnisme », elle a dit, et que je ne vais pas filmer le(s) cancer(s) de la petite marrante, ni me filmer les filmant. Non, dans le film, ce sont les ressentis et les vécus que je veux filmer, et pas besoin pour cela de faire de l’exhibition, il suffit de trouver les mots – même s’ils ne sont pas facile à trouver.

Et c’est justement parce qu’il n’est pas facile de les trouver. Qu’on le veuille on non, sauf lorsqu’on y est confronté que le, ou plutôt les cancers sont sujets tabous.

Tout le monde sait ce qu’est « le » cancer. Mais non, d’une part il n’y a pas « un » cancer » tant il peut prendre des formes différentes suivant l’endroit du corps qu’il touche, ou selon simplement la personne qu’il atteint. Et d’autre part surtout, « le » cancer est tant – et c’est une évidence – associé à la mort – que l’on en parle le moins possible. « Dcd d’une longue maladie », que l’on dit… Et cela dit tout de ce que l’on ne veut (ou ne peut) pas dire.

Une autre raison, et plus importante, est que – peut être du fait de cette absence de parole, ou de ces « demis mots » – ceux qui sont confrontés au(x) cancer(s), et ceux qui les accompagnent se retrouvent le plus souvent dans cet état « d’isolement » dont ma petite marrante a parlé, et qui, comme l’odeur de la mort, se sent partout à Cancerland.

Rompre, un peu, cet isolement donc, mais non pas simplement pour soi, pour nous, mais pour tous ceux qui le vivent, qui y vivent, et ouvrir une parole absente comme lorsque l’on ouvre ou ferme une plaie, puisque c’est de cela qu’il s’agit… c’est pour cela que j’ai voulu écrire ce film, et que nous témoignons dans ces pages de blog.

Pas sûr que cela apporte quoi que ce soit à la recherche contre le(s) cancer(s), et évidemment que cela ne changera en rien la face de l’humanité, mais simplement, témoigner et dire…

Et puis si vous voyiez la couleurs de ma petite marrante quand je lui demande d’ajouter sa parole à la mienne… Je ne vous raconte pas, mais parfois elle prend aussi les couleurs de l’arc en ciel. En ce moment, elle est plutôt gris-pâle…

« Ca y est, c’est pour ma pomme la question des couleurs… C’est JeanMi qui décline toutes les palettes de l’arc en ciel depuis sa fréquentation de Cancerland. Moi effectivement je suis grise pâle sans nuance !

Mais en effet lorsqu’il me demande d’intervenir avec lui je me sens toute empêtrée. Quelle est la limite entre le dire et l’exhibitionnisme ? Comment ne pas franchir le stade de l’intime quand on raconte le quotidien ? Qui ça intéresse ? 

Et en même temps, avant que je ne sois squattée par le crabe, je n’avais aucunement connaissance du vécu des malades et de leur vie au jour le jour. Ce n’était pas du désintérêt, juste de l’ignorance. Et puis quand la vie marche dans sa normalité, on a chacun nos centres d’intérêt et on éloigne ou contourne légitimement les sujets embarrassants.

Aussi quand JeanMi, qui partage mon quotidien de crabeuse, m’a proposé de témoigner j’ai accepté en me disant que ceux qui lisent ces billets régulièrement pourraient peut être y trouver un certain intérêt puisque, pour lui, il n’y a pas de sujet tabou.« 

La preuve du gris couleur pâle, c’est qu’il faut que je lui demande une fin à ce qu’elle m’écrit, et que je sens que le gris va pâlir encore. Mais une bonne nouvelle, elle vient de me dire qu’elle avait faim, ce n’est donc pas le début de la fin, et là, le tabou sera remplacé par une simple table.

Bon je ne lui demande pas le mot de la fin – et puis c’est sinistre cette expression – mais en regardant l’image que j’ai prise ce matin, juste à côté de l’hôpital Saint-Antoine – où nous allions aussi pour une histoire de seins – je me suis demandé pourquoi il y avait toujours une boutique funèbre à côté des hôpitaux.

Posted in: Cancerland